«Manifesto Essourour» : Manifeste du désenchantement
Pour la soirée d’ouverture du Festival international de Hammamet, «Manifesto Essourour» de Taoufik Jebali a créé l’événement. Le phénomène Jebali, ça marche et on y court.
Le théâtre de plein air de Hammamet était bondé en ce mardi 7 juillet. La jet set culturelle est venue assister à la pièce que signe le duo Taoufik Jebali et Raja Farhat. ’Manifesto Essourour’’ renoue avec des parties occultes de l’uvre de Douagi qu’on ressort de la pénombre des étagères de l’oubli à la lumière de la scène.
Ici, on est bien dans l’ambiance des années trente, où la femme avait à se défaire du poids de la tradition. Elle était enfermée dans son corps, tout comme son sefsari et avait longtemps à se battre contre les murs de la misogynie. Elle était la ’prisonnière’’ des mariages traditionnels, tout comme ’Dar Jouad’’ où l’on enfermait les femmes ’intraitables’’ pour les ’ramener à la raison’’ !
Faux semblants
Le personnage principal de la pièce, contrairement à ce que l’on croyait, n’est pas Douagi mais la femme dans l’uvre de l’écrivain. Celui dont la verve et la saillie d’esprit a palpé la souffrance des gens du peuple, de la femme en particulier. L’apparition de Douagi se fait furtive. Il apparaît dans la tenue d’un intellectuel de l’époque, pourtant frêle et effacé ou encore à l’hôpital, un Douagi esseulé et agonisant....
Le sujet de la femme perce une réflexion amère sur l’ambiguïté et la ’violence’’ des relations homme femme de l’époque et relate précisément la partie serrée de cache-cache qui se joue entre être et paraître. On pose enfin de compte la question de la sincérité et réfléchit sur les ressorts de l’imposture et les ravages de la tromperie...
Jebali prend plaisir à brouiller les cartes, la femme qui a longtemps souffert de tromperie prend sa revanche... Elle devient parfois même âpre et désinvolte.
L’intrigue s’amuse à ces effets de double, ces symétries et asymétries, cet inversement de rôle entre opprimé et oppresseur. Les dialogues en ressortent dans un style railleur, riches en jeux de mots, doubles sens et équivoques, à la fois caustiques et désopilants, rappelant un peu le journal Essourour que Douagi a créé dans les années 30 avec un collectif d’intellectuels.
Un jeu d’ombre et de lumière, usant de la technique de l’ombre chinoise, se joue d’une relation d’amour de l’homme et de la femme au clair de lune, sous un ciel étoilé. Tous deux ont la propriété de se rassembler en un corps métamorphique aussitôt qu’éparpillés...Telle est la passion tout à la fois compacte et diffuse et tout aussi éphémère qu’un astre doux et brûlant, inexplicable.
De minces rais de lumières jaillissent du noir de la scène. On comprend qu’il s’agit de prendre quelques aspects du recueil de poèmes «Sahertou minhou layali», ’Il m’en a fait veiller des nuits’’. Mais rien n’est évident ici. Car Jebali a donné une lecture très libre de l’uvre de Douagi. Un choix qu’il a assumé du tout début jusqu’à la fin de la pièce.
La scène éclate
Avec lui, la scénographie sait quitter sa structure habituelle. Elle sait se nourrir d’une multiplicité d’influences et de styles sans se laisser ravir ni séduire. Quelques bribes de texte ’slamées’’ par le groupe ’Slam Alikom’’ de Hatem Karoui, tout comme la chorégraphie des danseurs à la gestuelle extrêmement personnelle, sont partie prenante de la scénographie et contribuent à créer une ambiance qui puise au creux de ces langages une singularité certaine.
Les artistes qui, tout au long de la pièce, ont virevolté sur scène, ne sont autres que les élèves du studio d’El Teatro, conduits par Jebali ont donné à voir, malgré le chahut et les chavirements
une allégorie de la société tunisienne du temps de Douagi.
Un Douagi qui, usant de la poésie des songes, a pu contrer la cruauté de la vie. Quitte à habiter «Bilad Tararanni».
Mona BEN GAMRA